Cet
page a initialement été écrite pour la rubrique "expression
libre" du site "wikzik, le portail de
l'art indépendant".
Un artiste de variété
peut-il être vraiment indépendant ?
Je vous livre ici
quelques réflexions qui m'ont conduit à rejeter ce qui semble
être, pour une large majorité d'auteurs compositeurs, une
démarche logique et incontournable : devenir sociétaire de
la SACEM. Peut-être vais-je m'attirer quelques inimitiés,
mais dans le cadre d'une rubrique baptisée "expression libre", sur
un site baptisé "le portail de l'art indépendant", le sujet
m'a paru parfaitement à sa place. Sans grand espoir de créer
un large consensus, j'espère au moins susciter le débat...
Chacun peut constater que ce qu'il est
coutume d'appeler la variété fait aujourd'hui vivre (très
bien) un petit nombre de personnes (ceux qui remplissent les salles prestigieuses,
cartonnent à la vente et ceux qui les produisent), et qu'elle laisse
sur le bord du chemin le plus grand nombre (les artistes qui doivent se
contenter d'un statut d'intermittent du spectacle, d'ailleurs aujourd'hui
menacé). Quand, dans le même temps, on constate que ce qui
"marche" est comme les vieilles chaussettes, surtout fait de reprises,
et que le talent n'est pas forcément proportionnel à la taille
du compte en banque des intéressés, on est en droit de se
demander où sont aujourd'hui l'audace, la création, l'innovation,
la prise de risque, l'authenticité, la liberté de création
qui avaient élevé au rang de huitième art ce qui n'est
presque plus aujourd'hui qu'un "business" sordide.
On peut citer un grand nombre de gens,
tels les Gilbert Laffaille, Ricet Barrier, et autres Yvan Dautin qui, bien
que jadis reconnus par leurs pairs (par exemple l'académie Charles
Cros), doivent aujourd'hui se contenter de petites salles et de galères,
quand ils n'ont pas jeté l'éponge... On est aussi en droit
de se demander quelles auraient été les chances de carrière
d'un Brel, d'un Ferré ou d'un Brassens s'ils étaient
nés dans les années 70. (1)
"Indépendant"
devrait vouloir dire libre. Libre de rejeter ce système qui ne permet
pas à des gens de talent de vivre de leur métier. Libre de
créer et diffuser comme on le souhaite. Pourtant, en rejoignant
la SACEM, le sociétaire cède la gestion des droits sur son
travail à la société (2).
N'est-ce déjà pas une perte d'indépendance? Quand
on sait que, dans le même temps, il s'engage à déposer
toutes ses créations, et qu'au moment même où il crée,
les droits sur son travail appartiennent déjà, de fait, à
la société (3),
est-il encore vraiment indépendant ? Quand on sait de plus qu'un
sociétaire voulant s'auto-produire doit avancer un pourcentage du
prix de vente de la totalité des disques à la société
pour obtenir le droit de pressage (4),
n'a-t-il pas déjà perdu une part de sa liberté de
création? Je pourrais, multiplier les exemples, mais il me semble
qu'une lecture attentive des statuts suffit à se persuader qu'on
ne peut être vraiment indépendant en étant sociétaire.
Le système SACEM, outre les ombres qui pèsent sur sa gestion
passée et présente, est à mes yeux coupable de favoriser
l'optique "show-bizz" du profit immédiat, plutôt que d'essayer
d'encourager l'émergence de nouveaux talents, comme on serait en
droit de l'attendre d'une société qui a la caution du ministère
de la culture.
Il y a une différence essentielle
entre, un "peintre indépendant" qui peut très bien vivre
de son travail tout en restant en marge du marché de l'art, et une
majorité d'artistes de variété qui n'ont d'indépendant
que le fait de ne pas être encore tombés dans les mains d'un
producteur ou d'une maison de disque, et qui ont, de par leur appartenance
à la SACEM, déjà vendu une part de leur liberté
de création à un système qu'ils dénoncent par
ailleurs. (5) . En
matière de variété, nous sommes dans une logique industrielle
ou chaque produit lancé sur le marché a fait l'objet de savantes
études d'impact et bénéficie du matraquage bien huilé
de tous les médias. Dans ce système, il n'y a
guère de place pour un "petit artisanat". Et pourtant, il y a un
espoir : Grâce aux progrès techniques, un musicien peut désormais
créer, chez lui, comme un peintre, sans contraintes de temps, sans
contraintes commerciales, en toute liberté... Il peut, grâce
à Internet, et des sites comme Wikzik, se faire connaître,
entrer en contact avec des organisateurs de spectacles, vendre ses disques.
Malheureusement, il faut bien reconnaître
que l'on a pas encore vraiment dépassé le stade théorique,
et que pour le moment ma vision "artisanale" de la variété
n'est viable que parce qu'elle n'est confrontée à aucune
nécessité alimentaire. On peut néanmoins rêver,
et espérer qu'un jour, parallèlement à la logique
"show-bizz", il y ait une place pour de petits artisans indépendants.
Patrick
Destrem, auteur, compositeur, interprète et producteur amateur
indépendant - décembre 1999
http://perso.libertysurf.fr/patrick.destrem
(1)
Je vois d'ici venir un tas d'objections à mes propos, du genre "mais
les goûts du public ont changé"... C'est vrai, mais la raison
ne serait-elle pas aussi: "nourri au granulé, le dindon oublie le
goût du maïs" ? retour
(2)
Qui peut interdire leur diffusion sur Internet, par exemple. Cela est indiqué
clairement dans "vos obligations vis à vis de la Sacem" (suivre
le lien ci-dessous pour consulter le texte sur le site de la Sacem).
retour
(3)
Pour plus de détails, voir http://www.sacem.fr/societaires/membres.html#cond11
En résumé, en tant que sociétaire, vous ne pouvez
"offrir" une musique ou un arrangement à un ami sans renoncer à
vos droits moraux (ne pas le signer). retour
(4)
Voir les détails sur site de la SDRM http://www.sacem.fr/percevoir/sdrm/prod5.html
En résumé, et sous réserve que ma lecture du texte
soit bonne : à moins que la totalité du répertoire
reproduit soit dans le domaine public ou de "propriétaire actuellement
inconnu" (cas des non-sociétaires), il faudra acquitter les droits
correspondant à 7,4% du prix de vente de la totalité des
disques destinés à la vente. Même si vous n'êtes
pas sociétaire, une seule musique ou arrangement signé d'un
sociétaire et vous devrez vous acquitter des droits minimums. Une
autre entrave à la liberté de diffusion consiste dans la
limitation du nombre de titres déposés sur un support (20
pour CD LP). Il est à noter que toutes les boites de pressage françaises
ont obligation d'exiger de vous la déclaration à la SDRM,
et qu'ils risquent de gros ennuis en passant outre. La boucle est
bouclée et le système bien verrouillé. On est aussi
en droit de se demander comment sont reversés les fonds "avancés"
par le jeune auto produit... pas en intégralité, ça
c'est sûr ! (voir, les articles de presse, cités en bas de
page, sur la gestion pour le moins controversée de la Sacem)
retour
(5)
Attention, mon propos n'est pas ici de critiquer les collègues indépendants
sociétaires, mais de mettre en exergue, pour ceux qui seraient tentés,
que le fait qu'adhérer à la SACEM n'est pas une décision
sans conséquence... Personnellement, j'ai fait le choix de rejeter
en bloc ce système corporatiste archaïque qui profite surtout
à ceux qui n'en ont pas besoin et pénalise la création,
la production et la diffusion de la musique… Je réalise que la motivation
principale de nombreux sociétaires, dont le travail est peu générateur
de droits, est la protection de leur travail face à la contrefaçon,
la copie pirate et l'utilisation non rémunérée d'un
travail, mais le rôle de la SACEM est d'abord de percevoir et de
répartir les droits, la protection des oeuvres étant du ressort
de la "propriété intellectuelle" ou "droit moral" qui lui
est garanti par la loi, que l'on soit ou non sociétaire…
voir http://www.sacem.fr/societaires/membres.html#comment
retour
Lectures intéressantes
sur la SACEM et le droit d'auteur:
Pour
avoir décortiqué plus de 200 pages où le mot SACEM
apparaît, je suis en mesure d'affirmer que les "sons de cloches"
dissonants ne sont pas nombreux! J'en ai quand même trouvé
quelques-uns : ils concernent la spoliation des droits des auteurs juifs
pendant la guerre, la gestion pour le moins controversée de la Sacem,
l'ambiguïté du statut de la Sacem, société de
droits privé, jouissant de pouvoirs dignes d'une administration
et le peu de cas qui est fait d'une des missions de la Sacem, à
savoir l'aide à la création pour les auteurs et compositeurs
n'ayant pas encore atteint le stade de la notoriété.
Paru dans l'Express :
http://www.lexpress.fr/editorial/zooms/sacem/ouverture.htm
Sur le même sujet
:
http://www.timbale.com
http://w3.caissedesdepots.fr/cdd/fr/f/actualite/faits_detail_350.htm
A propos de la gestion
de la SACEM :
http://www.esc-brest.fr/cg/cgrp20F.htm
http://www.grolier.fr/cyberlexnet/COM/A981214.htm
(un peu ardu, mais très bien argumenté)
Le code français
annoté de la propriété intellectuelle
http://nteserveur.insa-lyon.fr/liens/droits02.htm
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